Le droit au paiement direct ne peut être réduit qu’en cas de modification du contrat de sous-traitance

Axel Glock | | 30 janvier 2017
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Dans cette affaire, le Conseil d’Etat interdit, sur le fondement de la loi de 1975 sur la sous-traitance, au maître de l’ouvrage et à l’entrepreneur principal d’abaisser le montant figurant dans l’acte spécial pour tenir compte des conditions d’exécution des prestations sous-traitées, sans que les stipulations du contrat de sous-traitance relatives au volume ou au montant des prestations dont le sous-traitant assure l’exécution aient été modifiées.

Dans les faits, le Port autonome de Marseille, devenu le Grand Port Maritime de Marseille, avait conclu un marché de travaux avec la société Gardiol, qui avait sous-traité une partie des prestations à la société Dervaux. L’intervention de cette dernière a été acceptée par acte spécial et ses conditions de paiement ont été agréées, ce qui lui a ouvert le bénéfice du paiement direct, pour un montant de 116.373 € HT. Toutefois, par un nouvel acte spécial conclu entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal, ce montant a été abaissé à 59.796,25 € HT ce, afin de tenir compte des conditions d’exécution des travaux sous-traités.

Sa demande de paiement direct, d’un montant de 83 651,80 euros TTC, ayant été rejetée, le sous-traitant a saisi le Tribunal administratif de Marseille, qui a, lui aussi, rejeté sa demande, de même que la Cour administrative d’appel de Marseille, dont l’arrêt a été annulé par une décision du Conseil d’Etat du 23 mars 2015 (n° 382826). Statuant de nouveau, la Cour a rejeté encore une fois ces demandes, par décision du 28 décembre 2015.

Toutefois, le Conseil d’Etat, saisi en cassation, fait majoritairement droit aux prétentions de la requérante.

Après avoir posé la règle exposée ci-dessus, suivant laquelle l’acte spécial ne peut être modifié qu’en cas de modifications du contrat de sous-traitance, et rappelé que le maître de l’ouvrage peut contrôler l’exécution effective des travaux et le montant de la créance du sous-traitant, le Conseil d’Etat relève, dans le cadre de ce contrôle, qu’il résulte de l’instruction, et plus précisément d’une proposition d’avenant n°1 au contrat de sous-traitance, que la requérante n’a pas effectué les prestations de menuiserie aluminium, dont le montant s’élevait à 3 869 euros HT. La Haute juridiction réduit donc d’autant les sommes dues au titre du paiement direct.

En revanche, elle écarte les arguments du maître d’ouvrage tirés, sans autres précisions, des réserves émises lors de la réception de l’ouvrage, après avoir relevé qu’il ne ressort pas de l’instruction que le sous-traitant n’aurait pas effectué les autres prestations demandées.

Comme le maître de l’ouvrage se prévalait également des retards imputables à la société Dervaux pour s’opposer au paiement, le Conseil d’Etat est amené à faire application des règles posées dans la décision du 7 décembre 2015, Commune de Bihorel, n° 380419, publiée au Recueil.

Il commence par rappeler celles-ci :

  • En premier lieu, l’action du maître de l’ouvrage qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d’un vice imputable à la conception ou à l’exécution d’un ouvrage doit être dirigée contre les constructeurs auxquels il est lié par contrat. Ce n’est que si la responsabilité de ces constructeurs ne peut être utilement recherchée, que le maître de l’ouvrage peut agir contre leurs sous-traitants.
  • En deuxième lieu, à défaut de contrat liant le maître de l’ouvrage au sous-traitant, le fondement d’une telle action est la responsabilité quasi-délictuelle de ces derniers, à raison notamment de « la violation des règles de l’art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires », et non de manquements aux obligations figurant dans le contrat de sous-traitance, conformément  à la règle suivant laquelle les tiers à un contrat ne peuvent se prévaloir des stipulations de ce contrat, rappelée dans la décision de Section Madame Gilles du 11 juillet 2011 (req. n° 339409, Rec).

En l’occurrence, ces deux conditions font défaut : d’une part, il n’est pas établi que la responsabilité de l’entrepreneur principal ne pourrait être utilement recherchée au titre des retards imputés au sous-traitant, et, d’autre part, il n’est pas démontré que ledit retard serait constitutif d’une violation des règles de l’art.

En conséquence, le Grand Port Maritime de Marseille est condamné à payer la somme de 52 128,98 euros (ce qui correspond au montant hors taxes du solde des travaux sous-traités) à la société Baudin Châteauneuf Dervaux venant aux droits de la société Dervaux, cette somme portant intérêt au taux légal à compter du 9 mars 2007, date de la réception de la demande d’indemnisation.

CE, 27 janvier 2017, société Baudin Châteauneuf Dervaux, Req. n° 397311, T.Rec.