CJUE : d’importantes précisions sur les candidatures aux marchés publics

Axel Glock | | 15 mai 2017
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La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue compléter les indications ressortant, notamment, de sa décision Partner Apelski Dariusz du 7 avril 2016 (Affaire C-324/14) sur divers points, ainsi qu’une jurisprudence assez abondante en 2016 sur les cas d’exclusions facultatifs.

Dans cette nouvelle affaire, régie par la directive 2004/18/CE , un pouvoir adjudicateur hospitalier polonais avait lancé une consultation dont l’un des lots portait sur l’achat et la fourniture d’un système hospitalier intégré (logiciel HIS) pour les départements administratifs (gris) et médicaux (blanc).

Il exigeait, à titre de niveau minimal de capacité, la démonstration de ce que chaque candidat avait déjà exécuté au moins deux marchés comprenant, pour chacun d’eux, une livraison, une installation, une configuration et une mise en œuvre d’un HIS dans les départements blanc et gris pour un établissement de santé d’un minimum de 200 lits et d’une valeur supérieure à 100.000 € environ (somme exprimée en zlotys).

L’opérateur économique Konsultant Komputer, attributaire de ce marché, avait présenté une liste de livraisons comprenant des prestations  de livraison, d’installation, de configuration et de mise en œuvre de deux HIS dans deux hôpitaux polonais, exécutés par un consortium composé de Konsultant IT sp zoo et Konsultant Computer.

Sur recours d’un candidat évincé, le juge national avait annulé la procédure et enjoint au pouvoir adjudicateur de demander à l’attributaire de fournir des précisions sur l’étendue des marchés dont il s’était prévalu, en raison de l’inexactitude des informations susmentionnées.

Sur demande de l’hôpital, Konsultant Komputer avait précisé ses références. Il en est ressorti que l’une des deux références était composée de deux marchés distincts dont l’un ne portait pas sur le département blanc, et l’autre, pas sur le département gris.

Le pouvoir adjudicateur a considéré que cette circonstance (le fait qu’il ne s’agisse pas d’un marché unique incluant les deux types de prestations) devait l’amener à exclure cette référence. Il a donc invité Konsultant Komputer à compléter son dossier, ce que le candidat a fait en se prévalant des références d’un tiers, qui s’est engagé à fournir, en tant que consultant et conseil, les moyens nécessaires à l’exécution du marché.

Au vu de ces éléments l’hôpital a de nouveau attribué le marché à Konsultant Komputer. La procédure a, toutefois, de nouveau été attaquée par un candidat évincé.

C’est à cette occasion que le juge national polonais a saisi la Cour de justice de l’Union européenne de nombreuses questions préjudicielles.

Les trois premières questions, telles qu’interprétées par la Cour, portaient sur la possibilité pour un candidat de produire, après le délai imparti pour le dépôt des candidatures, des documents ne figurant pas dans l’offre initiale pour prouver qu’il remplit les conditions de participation.

Pour y répondre (cf. § 34 à 45) la Cour rappelle, en substance :

  • Que les opérateurs doivent être traités sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et transparente ;
  • Qu’une offre ne peut être modifiée après son dépôt, sauf clarifications, ou corrections d’erreurs matérielles manifestes, non assimilables au dépôt d’une nouvelle offre.

Elle considère, en l’occurrence, que le fait de se prévaloir de références d’une entreprise tierce, et de l’engagement de cette dernière de mettre ses moyens à disposition de l’exécution du contrat, constitue une modification substantielle er significative de l’offre initiale, de sorte que l’attributaire a été indument favorisé. La réponse à ces trois premières questions est donc négative.

La quatrième question (cf § 46 à 54) portait sur la capacité, reconnue, du pouvoir adjudicateur d’imposer (dans des cas exceptionnels) que le candidat (le marché devant être réalisé par un seul opérateur) dispose à lui seul des capacités exigées dans les documents de la consultation, par dérogation à la possibilité de se prévaloir des capacités d’entreprises tierces, le marché présentant un caractère « indivisible ». La Cour répond sur ce point, d’une part, qu’en l’espèce, une telle exigence ressortait bien des documents de la consultation et du caractère indivisible du marché, et, d’autre part, que l’exclusion de la possibilité de se prévaloir de l’expérience de plusieurs opérateurs était liée et proportionnée à l’objet du marché.

La cinquième question (cf. § 55 à 65) concernait les conditions et limites de l’invocation, au soutien de la candidature, d’une expérience acquise dans le cadre d’un groupement. La Cour précise, sur ce point, ce qui suit : « lorsqu’un opérateur économique fait valoir l’expérience d’un groupement d’entreprises auquel il a pris part, celle-ci doit être appréciée par rapport à la participation concrète de cet opérateur et donc à sa contribution effective à l’exercice d’une activité requise audit groupement dans le cadre d’un marché public déterminé ». Un opérateur ne peut donc pas se prévaloir de l’expérience acquise par les autres membres du groupement au soutien de sa propre candidature, ce qui l’oblige à détailler, le cas échéant, les prestations qu’il a concrètement exécutées dans le cadre du contrat dont il se prévaut.

La sixième question (cf. § 66 à 78) concernait la caractérisation des fausses déclarations de nature à exclure un candidat. Plus précisément, la juridiction nationale interrogeait la Cour sur la nécessité d’une intentionnalité de la part de ce dernier. Ce n’est pas l’élément de caractérisation que va retenir le juge communautaire. Pour mémoire, la directive communautaire de 2004 réservait ce cas d’interdiction de soumissionner au candidat qui s’était rendu « gravement coupable de fausses déclarations » (Art. 45 2. g) . Dans l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015, ce cas d’exclusion concerne les personnes qui « ont fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution » (Ord., Art. 48 I. – 2°), la réglementation française reprenant, en cela, la formulation figurant dans la directive 2014/24 (Art. 57-4.i). S’inspirant manifestement de cette nouvelle rédaction, la Cour interprète la directive de 2004 comme visant la « négligence susceptible d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution d’un marché public », peu importe que cette négligence ait eu un caractère intentionnel ou non. En l’occurrence, la Cour considère que les informations fournies ont eu une incidence sur l’issue de la procédure puisqu’elles ont permis à Konsultant Komputer de remporter le marché. En conséquence, l’attitude de ce candidat « est susceptible de justifier la décision du pouvoir adjudicateur d’exclure ledit opérateur ». Relevons que la Cour répond à la question que le cas d’exclusion « peut » être appliqué au cas d’espèce. Est-ce à dire qu’un pouvoir adjudicateur, confronté à une fausse déclaration répondant à la définition susmentionnée n’est pas tenu d’exclure le candidat concerné ?

La Cour administrative d’appel de Paris, pour sa part, parait distinguer trois degrés d’erreurs, dans son arrêt du 29 juillet 2016 (Ville de Paris, n°15PA02427) :

  • La simple erreur matérielle non susceptible d’avoir faussé l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, qui est sans incidence sur la validité du contrat ;
  • L’erreur qui est susceptible d’avoir eu une telle influence, dont les conséquences sur la validité du contrat varieront suivant les divers paramètres de l’affaire ;
  • L’erreur intentionnelle et susceptible d’avoir une telle influence, vice intrinsèque d’une particulière gravité devant entraîner l’annulation du contrat, sous réserve des motifs d’intérêt général pouvant s’y opposer.

La septième question (cf § 79 à 88) concernait les expériences invocables au regard des mentions du dossier de consultation des entreprises : est-ce que plusieurs contrats séparés, dont aucun ne répond toutes les conditions posées, la satisfaction de ces conditions ressortant de l’addition des expériences incluses dans ces contrats, peuvent être invoqués au soutien d’une référence/expérience, quand le dossier de consultation ne l’a ni prévu, ni exclu ? La réponse est qu’il est possible d’exclure – expressément – une telle possibilité, si cela est lié et proportionné à l’objet et aux finalités du marché. Cependant, cela n’était pas exclu au cas d’espèce. Partant, les candidats étaient en droit de se prévaloir de l’expérience combinée de deux ou de plusieurs contrats au soutien du niveau minimum de capacité tiré de l’expérience des candidats, au même titre qu’il est en droit de se prévaloir des capacités de plusieurs opérateurs économiques.

CJUE, 4 mai 2017, Esaprojeckt sp z.o.o., Affaire C-387/14