Annulation d’une concession provisoire attribuée sans publicité ni mise en concurrence au motif d’un intérêt notamment financier

Axel Glock | | 7 mars 2018
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Une autorité concédante ne peut attribuer une concession de service provisoire sans publicité ni mise en concurrence qu’en justifiant d’un motif d’intérêt général tenant exclusivement à des « impératifs de continuité du service public », et en aucun cas à des considérations pécuniaires, ainsi que d’une situation d’urgence indépendante de sa volonté.

En l’espèce, la ville de Paris avait conclu en 2007, avec la Société des mobiliers urbains pour la publicité et l’information (ci-après Somupi), filiale du groupe JC Decaux, un contrat ayant notamment pour objet l’exploitation des mobiliers urbains d’information.

Ce contrat avait pour échéance le 31 décembre 2017. C’est pourquoi la ville de Paris avait lancé, en mai 2016, une procédure de passation en vue de conclure une nouvelle concession de service ayant le même objet.

Au terme de cette procédure, la concession avait finalement été attribuée à la Somupi, puis annulée par le juge du référé précontractuel (décision confirmée par l’ordonnance du CE, 7e – 2e ch. réunies, 18 sept. 2017, n°410336).

Par suite, en novembre 2017, le conseil de Paris avait, par délibération, autorisé la ville à attribuer à la Somupi, sans publicité ni mise en concurrence, une concession de service provisoire pour une durée courant du 13 décembre 2017 au 13 août 2019.

A nouveau, deux concurrents de la Somupi avaient contesté cette attribution en introduisant, respectivement, un référé précontractuel (article L.551-1 du code de justice administrative). Le tribunal administratif de Paris avait fait droit à leur demande et annulé la procédure de passation de la concession provisoire au motif « qu’aucune des conditions pouvant permettre de conclure, à titre provisoire, un contrat de concession de service sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites n’était remplie ».

La ville de Paris et la Somupi s’étaient alors pourvues en cassation devant le Conseil d’Etat, qui, dans une ordonnance rendue le 5 février 2018, a rejeté ces pourvois.

Dans un premier temps, la Haute assemblée a confirmé l’intérêt pour agir des concurrents de la Somupi en faisant application d’une jurisprudence, aujourd’hui constante, selon laquelle « toute personne est recevable à agir, sur le fondement de l’article L. 551-1 du CJA, lorsqu’elle a vocation, compte tenu de son domaine d’activité, à exécuter le contrat, y compris lorsqu’elle n’a pas présenté de candidature ou d’offre si elle en a été dissuadée par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu’elle invoque » (CE, 7e et 2e SSR, 29 avr. 2015, Syndicat de valorisation des déchets de la Guadeloupe, n° 386748 ; CE, 7e – 2e ch. réunies,, 21 sept. 2016, Com. urbaine du Grand Dijon c.Sté Keolis, n°s 399656, 399699).

En l’espèce, il a ainsi été considéré qu’il importait peu que les sociétés requérantes en première instance « n’auraient pas été matériellement en mesure de mettre en place le mobilier urbain d’information dans les délais requis par la ville de Paris ».

Dans un second temps, le Conseil d’Etat a rappelé le principe selon lequel : « en cas d’urgence résultant de l’impossibilité dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public conclure, à titre provisoire, un nouveau contrat de concession de service sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites ; que la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la personne publique entend poursuivre l’exécution de la concession de service ou, au cas contraire, lorsqu’elle a la faculté de le faire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance ; » (CE, 7e – 2e ch. réunies, 4 avr. 2016, Communauté d’agglomération du centre de la Martinique, n°396191; CE, 7e – 2e ch. réunies, 14 fév. 2017, SMPA, n° 405157).

Or, le Conseil d’Etat a conclu qu’en l’espèce aucun motif d’intérêt général n’exigeait de continuer à faire assurer le service par la Somupi au-delà du 31 décembre 2017.

En effet, la Haute assemblée a confirmé l’analyse du juge des référés selon laquelle « la grande diversité des moyens de communication, par voie électronique ou sous la forme d’affichage ou de magazines, dont dispose la ville de Paris » était suffisante pour éviter une rupture de la continuité du service public d’information municipale.

Le Conseil d’Etat a également refusé de prendre en compte les intérêts financiers avancés par la ville de Paris pour justifier l’attribution de la concession provisoire à la Somupi (la ville avait fait valoir ses « préoccupations relatives au risque de perte des redevances perçues au titre de la convention litigieuse »). Cela confirme l’interprétation stricte des motifs d’intérêt général invocables pour justifier la passation, à titre dérogatoire, de contrats provisoires sans publicité ni mise en concurrence, puisque ceux-ci ne peuvent tenir qu’à « des impératifs de continuité du service public ».

Enfin, le Conseil d’Etat a suivi l’analyse du juge des référés selon laquelle la ville de Paris ne pouvait pas légitimement se prévaloir du fait d’avoir été placée dans une situation d’urgence indépendamment de sa volonté, dès lors que celle-ci résultait directement de son inertie (en effet, la ville n’avait lancé une nouvelle procédure de passation qu’en novembre 2017 alors même que l’annulation de la procédure de passation initiale avait été prononcée le 21 avril 2017. Voir également en ce sens : CE, 7e – 2e ch. réunies, 24 mai 2017, Société Régal des Iles, n°407213).

A titre subsidiaire, la ville de Paris justifiait l’attribution de la concession provisoire à la Somupi sur le fondement des dispositions de l’alinéa 1er de l’article 11 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016, en vertu desquelles un contrat de concession peut être conclu sans publicité ni mise en concurrence préalable s’il « ne peut être confié qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité ».

Or, il appartient naturellement au concédant de prouver qu’il se trouvait dans un tel cas de figure, ce que la Ville de Paris n’a pas fait en l’espèce.

CE, 7e – 2e ch. réunies, 5 fév. 2018, n°s 416579, 416585, 416640, 416711, 416581, 416641