QPC : les modalités d’évaluation des titres de l’associé sortant validées par le Conseil constitutionnel

Axel Glock | | 20 septembre 2016
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Le Conseil s’est prononcé le 16 septembre 2016 sur la constitutionnalité de l’article 1843-4 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés.

Lorsqu’un associé quitte sa société, soit qu’il en est exclu, soit qu’il s’en retire, il convient évidemment de lui racheter ses titres. La pratique montre que bien souvent ce « divorce » du droit des affaires achoppe sur la valorisation des droits du sortant.

C’est pourquoi le code civil, dans son article 1843-4 (ancienne version) a depuis longtemps envisagé cette situation de blocage et prévu que la valeur de ces droits devait alors être déterminée par un expert désigné par les parties ou, à défaut d’accord, par le président du tribunal.

Que d’encre jurisprudentielle cet article n’a-t-il fait couler !

Pour n’en rappeler que les grandes lignes, indiquons que les juges faisaient application de ce texte lorsque la cession de ses titres était imposée à un associé (par la loi, les statuts ou un autre acte) et qu’ils ont estimé que l’expert désigné était libre dans son évaluation nonobstant les stipulations contractuelles pouvant exister entre les parties (voir par exemple, Cass. com, 5 mai 2009, n°08-17465).

Cette liberté donnée à l’expert a souvent été critiquée par la doctrine et les praticiens comme fort peu respectueuse de la volonté des parties et de la force obligatoire du contrat.

Dans l’affaire soumise au Conseil constitutionnel, un médecin exclu de la société de radiologie dont il était associé soutenait que l’article 1843-4, tel qu’appliqué par les juges, portait atteinte au droit de propriété.

Il faut dire en effet que la Cour de cassation, dans son application de l’article 1843-4, retient comme date d’évaluation des droits sociaux non celle à laquelle l’associé, de gré ou de force, les avait cédés mais celle qui était la plus proche du remboursement de la valeur de ces droits.

Or selon notre radiologue, qui a soulevé sa QPC dans le cadre du litige portant sur la fixation du prix de ses parts sociales après le dépôt du rapport de l’expert : l’atteinte au droit de propriété résulte du fait qu’entre la décision de sortie de sa société et la date retenue pour l’évaluation de ses droits sociaux, il n’avait plus de droits de vote et pouvait donc se voir imposer une perte de valeur sur laquelle il n’avait aucune prise.

Le Conseil n’a pas suivi cette analyse.

En substance, selon les sages, l’article 1843-4, tel qu’interprété par la jurisprudence, ne prévoit pas la possibilité d’exclure un associé ou de le forcer à céder ses titres ou à se retirer, mais se borne à déterminer la date d’évaluation de la valeur des droits sociaux.

Il n’en résulte aucune atteinte au droit de propriété.

Cela étant, le Conseil admet que le délai qui peut s’écouler entre la décision de sortie de la société et la date de remboursement des droits sociaux est bien susceptible d’entraîner une atteinte au droit de propriété de l’associé cédant.

Mais selon les juges de la rue de Montpensier, pendant cette période, l’associé concerné conserve ses droits patrimoniaux et perçoit notamment les dividendes de ses parts sociales. Et par ailleurs, il pourrait parfaitement intenter une action en responsabilité contre ses anciens associés si la perte provisoire de valeur de la société résultait de manœuvres de leur part.

Il n’y a donc là non plus aucune atteinte au droit de propriété[1].

Par suite, en jugeant conforme à la constitution l’article 1843-4 du code civil, le Conseil constitutionnel a validé ce faisant la jurisprudence sur la date d’évaluation des titres de l’associé sur le départ.

En cas de perte de valeur à cette date pour cause de manœuvres des autres associés, le sortant devra agir judiciairement en responsabilité.

En pratique, de telles actions étant relativement lourdes et longues à mettre en œuvre, on peut penser qu’elles seront rares et réservées à des dossiers où les enjeux financiers sont de grande ampleur.

Une question demeure : la décision du 16 septembre 2016 reste-t-elle valable dans la mesure où depuis le 3 août 2016 est entrée en vigueur la nouvelle rédaction de l’article 1843-4 ?

Cette nouvelle rédaction de l’article 1843-4, plus développée, en restreint toutefois le champ d’application en retenant deux hypothèses : lorsque la loi renvoie à l’article 1843-4[2], ou lorsque ce sont les statuts qui prévoient le recours à l’expertise.

Surtout, le législateur a désormais gravé dans le marbre l’obligation pour l’expert, en toute hypothèse, d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par toute convention liant les parties.

La doctrine salue ce retour en force des stipulations contractuelles – venant mettre ainsi fin à la jurisprudence de la Cour de Cassation octroyant une (trop) large liberté à l’expert – mais s’interroge sur certains manques de la loi nouvelle. On lira à cet égard avec utilité et intérêt le commentaire du Professeur Bruno Donderon.

Quant à la date d’évaluation des droits sociaux, la loi nouvelle nous paraît susceptible de modifier la jurisprudence établie, laquelle vient d’être pourtant confortée par la décision du Conseil constitutionnel.

On peut en effet parfaitement concevoir – et on ne saurait que trop le conseiller – que les parties, outre la méthode d’évaluation, fixent également dans leurs accords ou dans les statuts la date à laquelle il conviendra d’évaluer les titres de l’associé sortant.

Il est vrai que le texte nouveau n’impose à l’expert que de respecter les règles et modalités de détermination de la valeur des titres, sans expressément viser la date à laquelle cette valeur est établie.

Est-ce à dire que les juges, notamment la Cour de Cassation, rendront à l’expert un peu de sa liberté perdue en le laissant maître de cette date ?

On surveillera sur ce point, et bien d’autres, avec intérêt l’évolution de la jurisprudence rendue en application du nouvel article 1843-4.

Ludovic Landivaux


[1] Pour mémoire, le Conseil a également rejeté un argument appuyé sur l’atteinte prétendue au principe d’égalité.

[2] Exs : article L.223-14 du code de commerce (rachat après un refus d’agrément dans les SARL), article L.228-14 du même code (idem dans les sociétés par actions, lorsqu’existe une clause d’agrément) ou article 1869 du code civil (rachat des parts de l’associé qui se retire dans une société civile).