L’Assemblée nationale fusionne la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et la commission de déontologie de la fonction publique (articles 16 et 16 bis)

Axel Glock | | 21 mai 2019
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Rappel de l’objectif du projet de loi

La commission de déontologie de la fonction publique (CDFP) a pour rôle principal de rendre un avis déontologique sur le départ des agents publics qui envisagent d’exercer une activité dans le secteur privé concurrentiel ou de cumuler des activités dans le cadre de la création ou de la reprise d’une entreprise, afin de prévenir toute prise illégale d’intérêt et toute incompatibilité avec les principes et obligations déontologiques qui s’appliquent aux agents publics.

 

La loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et son décret d’application n° 2017-105 du 27 janvier 2017 ont renforcé le rôle et les attributions de la CDFP en matière de prévention des risques déontologiques, en particulier ceux relatifs aux conflits d’intérêts. Inscrite directement dans le statut général de la fonction publique aux articles 25 septies et 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la saisine préalable obligatoire de la commission, placée auprès du Premier ministre, a été instaurée pour tous les agents publics en cas de départ, temporaire ou définitif, vers le secteur privé, et ce quelles que soient les fonctions exercées dans l’administration d’origine. En outre, la loi a renforcé la portée des avis de la commission de déontologie puisque désormais, les avis de compatibilité avec réserves lient l’administration et non plus uniquement les avis d’incompatibilité. Lorsqu’ils portent sur une demande de départ vers le secteur privé, le président de la CDFP peut décider de rendre publics ces avis après avoir recueilli les observations de l’agent concerné.

 

L’étude d’impact du projet de loi indique (page 177) que depuis l’entrée en vigueur de cette dernière réforme en février 2017, le volume d’activité de la CDFP sur les saisines obligatoires s’est amplifié conduisant à une augmentation de près de 128,5 % du nombre de saisines (3 500 saisines en 2016, 7216 en 2017 et plus de 8 000 en 2018).

 

L’article 16 du projet de loi adopté en conseil des ministres avait une double ambition :

  • d’une part, assurer la fluidité des parcours entre le secteur public et le secteur privé pour les agents publics qui doivent pouvoir diversifier leurs expériences en alternant entre des emplois publics et privés ;
  • d’autre part, garantir que ces agents ne se retrouveront pas dans une situation de conflit d’intérêts, incompatible avec le respect de leurs obligations déontologiques, en renforçant davantage les contrôles mis en place pour les situations les plus à risque.

 

Afin de répondre à cette double ambition, l’article 16 du projet de loi cible et approfondit le contrôle de la CDFP :

  • d’une part en réduisant le périmètre des agents relevant de sa compétence pour ne conserver que ceux qui présentent un risque déontologique élevé (il s’agit des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient dont la liste exacte sera établie par décret en Conseil d’Etat) ; pour les autres agents, le texte institue un mécanisme faisant intervenir le référent déontologue en cas de doute sérieux quant à la compatibilité de l’activité privée envisagée par un agent avec les fonctions exercées et saisine de la CDFP si l’avis du déontologue ne permet pas de lever ce doute;
  • d’autre part en instaurant un contrôle déontologique spécifique pour les personnes exerçant ou ayant exercé une activité dans le secteur privé lorsqu’elles reviennent sur un emploi public après une expérience dans le privé ou bien, lorsqu’en tant qu’agents contractuels, elles accèdent à certains emplois publics ;
  • et enfin, en assurant une meilleure effectivité du contrôle de la commission, en améliorant sa capacité d’auto-saisine et en renforçant les sanctions.

 

Les apports de l’Assemblée Nationale

A l’occasion de l’examen du texte en première lecture, la majorité a souhaité procéder à la fusion de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et de la CDFP, une réforme proposée par la mission d’information des députés Fabien Matras (LREM, Var) et Olivier Marleix (LR, Eure-et-Loir) sur la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêt (rapport d’information n°611 du 31 janvier 2018).

Un nouvel article 16 bis adopté par la Commission des lois, issu d’un amendement du député Fabien Matras, a d’abord placé la CDFP, aujourd’hui rattachée au Premier ministre, au sein de la HATVP. Composée de deux collèges, cette dernière prenait avec le vote de cet amendement l’appellation de « Haute autorité pour la transparence et la déontologie de la vie publique ».

Comme le souhaitait la majorité, à la suite d’un travail commun à six groupes politiques, plusieurs amendements identiques (de la rapporteure et des six groupes politiques) ont été adoptés en séance pour  substituer un collège unique aux deux collèges initialement envisagés, pour modifier en conséquence la composition de la HATVP en faisant passer de deux à six le nombre de personnalités qualifiées et pour préciser que la moitié des conseillers d’États, conseillers à la Cour de cassation et conseillers-maître à la Cour des comptes devront être en activité au moment de leur nomination et pour la durée de leur mandat. Au total, le nouveau collège comportera treize membres.

Alors que les amendements prévoyaient leur nomination exclusivement par le Parlement, un sous-amendement du Gouvernement voté en séance confie au Gouvernement la nomination de deux de ces six personnalités qualifiées.

Ces amendements ouvrent également aux référents déontologues de l’administration concernée par une demande d’avis de la HATVP la possibilité d’y siéger lors de l’examen de celle-ci, ce qui doit permettre à la HATVP d’appréhender au mieux le cas qui lui est soumis.

A noter que l’amendement du Gouvernement qui proposait la réunion du collège de la HATVP en formation spécialisée lorsqu’elle statue sur la situation d’un agent public (dans les conditions prévues à l’article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983) a été repoussé par l’Assemblée.

A l’article 16 bis toujours, un amendement de la député Cécile Untermaier (Soc, Saône-et-Loire) précise que le rapport que doit rendre public chaque année la HATVP fait état des départs des fonctionnaires vers le secteur privé et des différents cas de réintégration de fonctionnaires ou de recrutements de contractuels qui lui ont été soumis.

A l’article 16, la Commission de lois a adopté un amendement de la députée Laurence Vichnievsky (MD, Puy-de-Dôme) qui vise à obliger l’administration à se conformer à tous les avis de la HATVP dès lors qu’ils concernent des situations individuelles (et de ne plus limiter cette obligation aux seuls avis rendus dans les cas de création ou reprise d’entreprise ou de cessation temporaire ou définitive des fonctions afin d’exercer une activité privée lucrative), ainsi qu’un amendement de la rapporteure pour rendre publics les avis rendus par la HATVP au titre de ses fonctions de contrôle déontologique des agents publics, à condition que les agents aient effectivement pris le poste ayant fait l’objet du contrôle de compatibilité.

En séance, un amendement de la rapporteure a été voté pour supprimer le mot « déontologie » et rétablir le nom de HATVP, le Gouvernement ayant émis un avis de « sagesse réservé » pour signifier qu’il est vrai que, d’un point de vue légistique, la loi ne pouvait pas modifier le nom de la HATVP qui est fixé dans une loi organique mais disant son souhait de voir le moment venu insérer le mot « déontologie ».

Un amendement en séance du député Fabien Matras,  sous-amendé par le Gouvernement, rend obligatoire la publicité des avis de la Haute-Autorité lorsque ceux-ci concerne un départ vers le secteur privé, la création ou la reprise d’entreprise ou un retour dans l’administration et que l’agent concerné a effectivement cessé ses fonctions afin d’exercer l’activité.

L’assemblée a adopté en séance un autre amendement du député Fabien Matras, sous-amendé par le Gouvernement, visant à instaurer un mécanisme de suivi des avis rendus par la HATVP : chaque année, durant les trois années qui suivent le début de l’activité privée lucrative, l’agent qui a fait l’objet d’un avis d’incompatibilité ou de compatibilité avec réserve devra faire parvenir à la Haute autorité une attestation signée par lui et par son employeur indiquant qu’il respecte cet avis. En cas d’absence de déclaration, l’autorité dont relève l’agent sera informée pour permettre la mise en œuvre de sanctions disciplinaires.

A noter que l’amendement du Gouvernement visant à renforcer le rôle des référents déontologues au sein de l’administration et à confier au ministre chargé de la fonction publique leur coordination et leur accompagnement a été repoussé en séance, la rapporteur y voyant un risque de créer un lien  hiérarchique et préférant que la diffusion de recommandations ou de bonnes pratiques soit confiée à la HATVP. Olivier Dussopt a annoncé le souhait du Gouvernement de travailler d’ici l’examen du texte au Sénat sur un dispositif pour renforcer le rôle des référents déontologues et obtenir une meilleure articulation avec la HATVP.

Retrouvez notre dossier spécial consacré au Projet de loi de « Transformation de la fonction publique »